Les églises du Loiret

Aujourd’hui est un jour de fête !

Aujourd’hui est jour de fête ! Un nouveau prêtre va venir prendre soin de moi !

Après ces temps de confinement je suis en effervescence à l’idée de ce changement et je m’interroge sur l’avenir. L’installation officielle a lieu dans une heure, ce qui me laisse le temps de me présenter :

Je suis bien implantée au cœur du village et toujours prête à rendre service, à répondre aux égarés qui ne savent plus quel chemin prendre. Sans hésiter je leur indique la bonne direction, ils n’ont qu’à lever la tête, je pointe toujours vers le ciel…

Saint-Maurice-sur-Fessard

Prisonnière de mes propres murs je ne peux pas me déplacer. Pourtant comme j’aimerais aller rejoindre les gens dehors !… car oui, bien souvent je me sens non pas abandonnée, mais bien seule. C’est pourquoi je fais sonner mes cloches, un cri pour les appeler à venir me rendre visite, je les attends…!

Hélas, parmi eux, beaucoup restent sourds. Seuls les habitués répondent à mon invitation ; alors nous restons entre nous … c’est parfois un peu monotone. Et c’est dommage car j’aime bien ce qui bouge, je suis avide de nouveautés…et je ne manque même pas d’espace pour accueillir, et en nombre !

Avec le temps certains de mes fidèles finissent par oublier ce que j’attends d’eux, ce que je souhaite ; en fait ils ne savent plus très bien qui je suis.

D’autres, plus sensibles à mes soupirs viennent mettre un peu de joie dans mon cœur : ils chantent, louent le Seigneur, et déposent même des touches de couleurs avec des compositions florales. Le doux parfum qu’elles dégagent me change un peu de l’odeur parfois un peu âcre de l’encens !

Mais malgré toutes ces attentions je reste frustrée, je suis « en  manque » de fidèles.

Toutefois je ne perds pas espoir, car ce serait me renier, même si je reconnais que parfois l’angoisse m’étreint : j’ai peur d’être désertée ou que l’on m’oublie dès que mes portes se referment.

Ceux qui m’offrent un peu de distraction et brisent temporairement ma solitude sont les touristes…enfin ceux qui osent pousser ma porte ; les autres restent dehors, ils ont sans doute peur que je les « engloutisse » dans je ne sais  quel abîme ! Pourtant c’est vers eux que je tends les bras, j’ai tant à leur dire.

Mes visiteurs viennent d’horizons différents, parlent des langues différentes, mais tous sont unanimes : ils me trouvent belle !

Notre-Dame de Puiseaux

Quelques-uns sont même pris de compassion pour mon grand âge. Alors je me redresse, je ne suis pas si vieille, et j’exhibe fièrement mon lustre tout moderne ! En toute honnêteté, ils ont un peu raison car parfois mon squelette gémit, ma structure nécessite quelques interventions, il m’arrive même d’être bien malade…Mais je ne suis pas encore moribonde comme certains le donnent à croire, je n’ai pas dit mon dernier mot !

Hélas ces visiteurs ne comprennent pas toujours ce que j’essaie de leur dire à l’aide de tous ces symboles et  représentations qu’ils peuvent contempler à loisir.

Mais si, par bonheur, l’un d’entre eux s’agenouille ou prend le temps de s’asseoir, alors ma joie est immense même si celle-ci reste silencieuse.

En fait, j’aimerais les retenir encore quelques instants afin de remettre à plus tard la peine que j’aie de les voir  partir sans avoir pu leur parler du trésor que j’abrite : le tabernacle. Comment leur faire comprendre, le temps  d’une visite, qu’ils pourraient, eux aussi, devenir le temple de Dieu, qu’ils ont un trésor à portée de mains ?

Pour moi le temps n’existe pas mais eux en sont les esclaves. D’ailleurs ils se dirigent déjà vers la sortie….alors dans une ultime tentative, près de celle-ci, j’ai mis à leur disposition documents et  flyers en tout genre qui parlent de moi. Je leur suggère même quelques prières écrites…Les liront-ils ou resteront-elles dans le fond d’un sac ou d’une poche ?

Désertée, je prie  pour eux. Un jour ils se souviendront peut-être de moi et prendront alors le temps de réfléchir au message que j’avais essayé de leur transmettre…

« Viens, Esprit Saint, Viens  transformer leur vie… »

Mais c’est  bientôt l’heure de  la  cérémonie,  bougies et  cierges sont déjà allumés, tout est  en  place. Les feuilles de  messe ont  été  distribuées, les flacons de gel placés aux endroits  stratégiques, tout le  monde  porte un masque. Parfait !

Musique. La  procession commence.

Bon nombre de  prêtres se  sont  déplacés. Ils  sont venus  entourer leur frère bientôt  installé.

Personnellement  je suis ravie, toutes les places sont  occupées. Note  évêque dira un peu plus tard qu’à la  vue de cette assemblée, je  pourrais rendre jalouses d’autres paroisses du diocèse. J’accueillerai cette remarque avec  plaisir, moi qui souffre tant de solitude, je me sentirai tout de  suite revigorée, sachant  toutefois, que les  jours se  suivent et ne se ressemblent pas forcément.

Malgré les  masques je reconnais facilement les  visages qui me sont  familiers. D’autres me sont  complètement  inconnus. Mon cœur  bat ! :

  • «  Le  nouveau  prêtre serait-il un rassembleur ? attirant dès aujourd’hui des  gens  venus d’ailleurs ? »

Je ne suis pas la seule à m’interroger, car avant la cérémonie j’ai tendu l’oreille et  pu noter que les attentes ou/et les craintes étaient multiples :

  • Pourvu qu’il vienne avec de  nouvelles  idées !
  • Pourvu qu’il soit à notre écoute et disponible !
  • Pourvu qu’il ne soit pas trop « tradi » !
  • Pourvu qu’il ne dirige  pas tout, tout seul !

Il y avait aussi de  la confiance :

  • Il n’est pas  jeune, il a donc de  l’expérience !
  • Quelques-uns de ses anciens paroissiens sont venus pour son installation !
  • S’ils sont dans le regret de le voir partir, c’est  qu’il doit être bien !

Chacun prend place autour de  l’autel. Les autres  prêtres revivent-ils leur  propre installation plus ou moins récente ? Quant au  nouveau, il se  place  près de  l’évêque. Tous les yeux sont  tournés vers  ce couple qu’ils  forment, l’un  grand, imposant,  l’autre  plus petit comme recroquevillé sur  lui-même.

En tout cas aujourd’hui, c’est  un honneur  pour  moi d’avoir l’évêque, notre  pasteur, entre  mes  murs..!  et  c’est  la  joie  pour les  paroissiens d’accueillir un  nouveau  prêtre. Quelques phrases de  bienvenue sont formulées, avec  quelques  hésitations dans  la voix, ce qui traduit sans  doute l’émotion de  l’instant.

J’essaie alors de  lire  sur le  visage du nouveau  prêtre ce  qu’il peut ressentir Mais celui-ci reste stoïque, impassible ! quel contraste avec  le sourire que  l’évêque affiche !

  • « Cette rigidité traduit-elle des regrets pour ce  qu’il laisse derrière, ou un questionnement sur  l’avenir ? »

La  messe se  déroule de  manière plutôt festive, mais  je  suis toujours étonnée de  voir avec  quelle facilité et  quelle rapidité les  gens  passent d’un  état émotionnel à un  autre :

L’enthousiasme de  l’accueil avec  un « Jubilez, criez de  joie » haut perché fait aussitôt place  à quelque chose de  plus  bas, de  plus  sourd : il faut se  reconnaître  pêcheur….et le  ton change à nouveau  pour  chanter la  gloire de  Dieu !

Puis les lectures se  suivent, tout est  orchestré, chacun connaît son rôle. Mais  l’émotion persiste, sans  doute est-elle responsable de  l’oubli d’une  partie de  « l’Alléluia » avant  la  lecture  de l’Evangile ? Heureusement que  notre  évêque, très réactif, donne de la  voix pour  relancer  l’Acclamation !

Aune  messe ne se ressemble. Aujourd’hui le servant se campe face à l’assemblée, tournant donc le dos à la  Parole, au  Christ ! je suis très  surprise ! mais  lui, imperturbable, reste les yeux fermés et  semble « parti »ailleurs….

Cet épisode est-il à l’origine des  sourires  échangés entre  prêtres ? Mais  le  principal n’est-il pas que  l’encens s’élève dans  la  bonne  direction ?

Notre évêque avance. Il  domine  l’assemblée, cela  en impose. Son  homélie s’en trouvera renforcée. Dans  celle-ci nul n’est  oublié. La mission de  chacun est précisée. Laïcs et  prêtres ont  besoin les uns des  autres. Ils  sont  là les  uns  pour  les autres. Ce n’est pas toujours  facile, chaque groupe doit déjà être  en accord  avec  lui-même !

La citation du  livre « Monsieur  le  curé fait  sa crise » en est  la  preuve…l’assemblée murmure…tout le  monde  comprend !

  • « Le  nouveau  prêtre sera-t-il diplomate ? »

Plus  sérieusement l’évêque  fait référence au  curé d’Ars : « Tu  m’as  montré le  chemin du  village, je te  montrerai la route du ciel ».

  • « Le  nouveau  prêtre sera-t-il un  vrai  guide ? »
  • « Où se  situera-t-il, devant, au  milieu ou derrière  les  paroissiens ? »

Les  ouvriers  de la  vigne….

  • « Saura-t-il aller chercher les égarés,  ceux de  la dernière  heure ? »

C’est  maintenant le  temps du  « Notre  Père ». Chantée cette  prière est encore  plus  belle, mes  murs  vibrent de bonheur. En un seul mot : « Notre » tout est  dit,  l’assemblée ne fait  qu’un corps, il n’y a  pas  d’exclu…

Les gens sont  nombreux à se déplacer  pour recevoir le  Corps du Christ. Je  me  permets de  les observer : la  moyenne d’âge est  assez  élevée ;

  • « Saura-t-il trouver les  mots pour  parler aux jeunes ? »
  • « N’y aura-t-il pas de décalage entre ses paroles et ses  actes ?
  • «  Les  jeunes sont  prompts au  jugement, alors… »

La cérémonie  touche à sa  fin. L’évêque remet au  nouveau prêtre un document  officiel pour entériner son installation. Ce dernier a  enlevé son masque ; présenté comme un  priant,  il sourit  maintenant.

(Je trouve  encore le temps de  m’étonner, les  prêtres ne sont-ils pas tous des  priants ?)

Voilà même qu’il prend la parole, pour  remercier de  l’accueil bien sûr, mais  aussi pour  préciser qu’il a  demandé des  grâces pour mener à bien ses actions.

  • « At-il déjà des  projets ? j’ai hâte de les  voir  mis en  œuvre »

Pour  finir  il demande aux  paroissiens de  faire  preuve de  patience car  il lui faudra, dit-il, un certain temps pour apprendre à connaître chacun. Emu, sans  doute un peu, il souhaite à l’assemblée une  bonne « journée ». Compte tenu de  l’heure, une  bonne « soirée » eut été  plus appropriée. Mais  personne, c’est  certain, ne  lui en tiendra rigueur !

La bénédiction reçue, les gens sortent par différentes portes, sans se retourner…les  lumières vont  s’éteindre, je vais  me retrouver seule, dans la nuit…

Enivrée par le  parfum de  l’encens, pleine d’espérance, je  vais pouvoir m’endormir ce  soir, rassurée…et….

« Humblement, dans le silence de  mon cœur, je  me donne à  Toi, mon Seigneur… »

PdB ou Pascale de Barochez, déléguée à la Pastorale du Tourisme du diocèse d'Orléans.